Syncopccino.

Une envie de pâtisserie tenaillait le petit vieux lorsqu'il entra dans le See You Latte. Il pourrait bien faire passer la culpabilité envers son taux de cholestérol en prenant un cappuccino frappé avec, n'est-ce pas ? S'il y avait bien un problème avec les Amerloques, c'est bien qu'ils cuisaient trop leurs viandes, garnissaient trop leurs pâtisseries, et ne serraient pas assez leurs cafés. Mais le salon de Sidebay avait ça de fantastique qu'il faisait de bonnes pâtisseries et de bons cafés, et ça, c'était quelque chose qui tenait à cœur au fou d'origine française.

Il fit la queue en se pourléchant déjà les lèvres. Quand vint son tour, il fit face à une sublime rouquine au sourire radieux, qui le salua avec un authentique plaisir dans la voix. Il était déjà sous le charme. Ah ! s'il avait eu cinquante ans de moins ... Mais il ne les avait pas. Il avait presque quatre-vingts ans, et il avait hâte d'entretenir son régime longévité avec un bon coup de caféine et de matières grasses !

« Oh ! Bonjour, charmante petite. J'aimerais beaucoup un double cappuccino frappé et ... euh ... surprenez-moi pour la pâtisserie. »

Il la regarda s'affairer et préparer sa commande avec un grand sourire aux lèvres. Il ne savait pas pourquoi, mais la façon dont elle agissait et travaillait lui rappelait un excellent souvenir. Était-ce celui d'une personne qu'il avait connu ? Il s'interrogeait lorsque, passant à côté d'un ordinateur, elle dut faire bouger la souris. L'écran afficha le panneau d'administration de son blog de cuisine favori ! Tout se combina dans sa tête, et il vit la rouquine pour ce qu'elle était : son idole, son égérie de la cuisine locale. Lorsqu'elle revint, il tenta de parler. Elle était baignée d'une aura lumineuse, telle une déesse. Était-il au Paradis ? Non. Il réalisa soudain qu'il expérimentait les effets secondaires d'un arrêt cardiaque. La bouche ouverte dans un appel silencieux, la main serrant son épaule gauche, il tomba à la renverse.

Jamais Jamie ne se forçait à faire quoi que ce soit. Elle faisait partie de ces gens qui travaillaient avec le sourire, qui s’exécutait sans qu'on ait besoin de demander quoi que ce soit et qui partageaient un bonheur contagieux. C'était pour cela que la belle rouquine servait ses clients au See You Latte depuis maintenant six ans, prônant depuis son arrivée dans la boîte, le poste de gérante. Jamais elle n'avait déçue qui que ce soit et si un problème avait lieu, Fox savait gérer le cas et résoudre le tout pour que tous soit satisfait et pour elle, le client était bel et bien roi et avait raison sur toute la ligne! Enfin, la rouquine accueilli comme elle se devait les clients qui faisaient le file pour leur café et porta une attention toute particulière au vieillard qui lui demanda de le surprendre avec une petite pâtisserie. Franchement elle adorait lorsqu'un client lui donnait une telle faveur, c'était la chance de montrer qu'elle avait du goût! Mais bonjour monsieur, j'espère sincèrement que vous allez bien et que vous passez une merveilleuse journée! Oui parfait un double cappuccino frappé et... Elle lui sourit à pleines dents avant de se retourner en direction du bar à dessert et de prendre ce qu'elle qualifierait de parfait pour l'homme, mais avant de retourner à la caisse, passa devant son ordinateur portable afin de bouger la souris. Jamie détestait voir son pc en veille lorsqu'elle mettait à jour son blogue, mais ne s'attardait jamais lorsqu'il y avait des clients et donc retourna rapidement face à l'homme qui tout d'un coup sembla se porter moins bien... Feuilletés aux pommes caramélisées et crème au mascarpone rien que pour vous, je les ais préparés il y a à peine cinq minutes et ils sont encore chau... Fox ne termina pas sa phrase, voyant bel et bien que l'homme appelait à l'aide, une main contre sa poitrine. Dans un esprit de courage, la rousse laissa tomber le dessert qu'elle tenait afin de traverser le comptoir et de crier à l'aide. Appelez une ambulance! Tout de suite !!! La rouquine posa sa main délicate contre la joue de ce dernier alors qu'elle faisait passer son regard de sa collègue au téléphone, à l'homme maintenant dans ses bras. tout va bien aller monsieur, je suis là et je ne vous laisserai jamais tomber! La belle encourageait du mieux qu'elle le pouvait l'homme souffrant.

Le monde entier semblait nimbé d'une aura divinatrice, mais ce n'était que parce qu'une partie de son cerveau ne recevait plus de sang neuf. Il se sentait porté au-dessus de la Terre, et bercé par les anges. Était-ce ça, la fin ? C'était pas si fantastique. Où étaient les trompettes, le char et la foule venue l'accueillir ? Il n'y avait rien de formidable. En revanche, un bref soubresaut de son cœur lui fit voir le monde réel un instant. Et elle était là, près de lui, lui disant de s'accrocher ; sa bloggeuse préférée, celle qui lui avait tout appris sur ce qu'on pouvait faire de délicieux avec les ingrédients trouvés chez le dépanneur du coin.

Il devait tenir bon ! Il devait se battre ! Son heure avait beau se rapprocher à grands pas, elle n'était pas encore venue !

Ray ignorait combien de temps il était resté entre la vie et la mort, mais il entendait les sirènes de l'ambulance s'approcher au loin lorsqu'il reprit ses esprits et prit une bouffée d'air frais.

« Foutre Dieu !* Elle est passée pas loin, celle-là ! »

Reprenant sa respiration, il sentit la vie lui revenir. Il avait des fourmis jusqu'au bassin et à la poitrine, et même dans la tête. C'était une sensation terrible. Dans sa détresse, il chercha à attraper quelque chose, et trouva la main de Jamie, qui était toujours là. Il tourna les yeux vers elle et sourit, comme si rien ne s'était passé.

« Oh ! ma petite dame. Je vous adorais déjà, et voilà que vous me sauvez la vie ! »


* En français dans le texte (lol).

La rouquine fronça les sourcils, moue qui dessinait que très rarement le visage de la jeune femme visiblement inquiète pour son client. Ne voulant pas l’abandonner, elle se contentait de dicter quoi faire aux autres, autre choses qu’elle n’avait pas l’habitude de faire, puis supervisait au loin ce qui se passait. Les sirènes retentirent enfin alors que le vieille homme sembla s’animer de nouveau. « Foutre Dieu !* Elle est passée pas loin, celle-là ! » Jamie était littéralement scotchée. Pour une fois rien ne semblait se bousculer, aucun son ne pouvait sortir de sa bouche, elle se contenta donc d’empoigner bien fermement la main du vieil homme alors qu’un immense sourire aiguilla de nouveau son visage aux teintes blanchâtres. Vous m’avez fait une de ces peurs mon cher monsieur, ne me refaite plus ce genre de bêtise ! Une bonne partie de l’inquiétude qui avait gagné son visage s’envola alors que tous les autres clients semblaient soulagés tout autant qu’elle. Au fait moi c’est Jamie, ange gardien. Elle lui afficha son plus merveilleux des sourires, attendant avec impatience qu’il se présente enfin à elle.

Les sirènes se faisaient plus fortes, à l'extérieur. Ray savait déjà qu'on allait l'emmener à l'hôpital pour le garder en observation, l'examiner, lui dire que tout allait bien, et le raccompagner chez lui. S'il avait pu, il aurait sauté sur ses jambes et prétendu être en pleine santé. Il aurait pointé du doigt en direction de l'arrière-boutique à l'entrée des ambulanciers, et se serait éclipsé sans demander son reste pour profiter de la fin de sa journée. Mais il n'arrivait à bouger ses orteils qu'à grand peine, alors faire tout ça relevait de l'impossible. Ce n'était peut-être pas une mauvaise chose. Il lui arrivait d'avoir des petits malaises cardiaques. C'était le genre que toute personne âgée expérimentait, à un moment ou à un autre. Elles prétendaient être soudain fatiguées de la journée, s'asseyaient et reprenaient leurs esprits en observant leurs petits-enfants, ou en se rappelant de jours plus beaux. Le problème, pour Ray, c'est qu'il n'avait pas les premiers, et qu'il ne se rappelait pas franchement des seconds. En avait-il eu de vrais ? C'était probable, mais il n'aurait su le dire.

Du coup, il observait son nouvel ange gardien, Jamie, comme elle avait dit s'appeler. Il lui sourit à l'écoute de son nom. Comme elle lui tenait déjà la main, il amena la seconde pour la tapoter gentiment.

« Merci, Jamie. Quel joli nom ! Appelez-moi Ray. »

Il essaya de se redresser, mais sentit des picotements et une douleur dans la poitrine. Il abandonna.

« J'ai réalisé que vous êtes cette formidable blogueuse culinaire, et là ... je me sens honteux. Dans quel état je me suis mis. »

Son merveilleux sourire se prolongea lorsqu’enfin, l’inconnu qu’elle tenait dans ses bras frêles daigna se nommer, complimentant au passage son prénom. Vous complimenterez ma mère, elle adore recevoir des compliments, moi sincèrement ça me gênes…vous voyez mes joues…elles sont probablement déjà bien rouges ! Un petit rire nerveux la gagna, comme à chaque fois qu’elle sentait la gêne gagner son corps, mais se tue pour laisser parler Ray, qui visiblement avait autre chose à dire. Elle mit quelques secondes à réaliser ce qui se passait…bien sûr sa page web sur son ordinateur portable…elle avait touché la souris afin de retirer l’écran de veille et facilement il avait pu voir qu’elle travaillait sur son blogue…mais quelle sotte ! la rouquine devint cramoisie alors que le vieil homme s’excusait d’être dans un tel état. Vous êtes probablement mon premier fan Ray…ça me touche énormément ! Elle mordilla sa lèvre inférieure et regarda ailleurs, gênée par la situation et qu’on l’ait reconnue de la sorte. Ne bougez pas Ray, j’ai pas envie que mon unique fans me claque entre les doigts ! De nouveau elle rit nerveusement avant de caresser la main qu’il avait posée dans la sienne.

Ray toussota en l'entendant lui dire de ne pas bouger. Ah ! ça, non, il n'allait pas bouger ! En fait, il riait, mais il se sentait tellement faible, et il n'avait pas encore récupéré son souffle. Il adressa un sourire radieux à la jeune femme, et ses yeux trahissaient l'esprit enfantin qui abritait les anciens lorsqu'ils se souvenaient de bons moments passés depuis des décennies.

« Oh, croyez-moi, dans mon état, je ne vais nulle part. »

L'ambulance s'était arrêtée. On entendait, par la porte peut-être entrouverte, les brancardiers s'affairer, tandis que le conducteur devait déjà être en train de se charger avec les sacs et la paperasse. Ils n'allaient pas tarder. La jolie rousse, intimidée, regardait ailleurs. Il connaissait ce type de timidité mal placée. Il tira sur sa main, avec une force qu'elle ne devait pas soupçonner, et l'amena à le fixer dans les yeux. Il était toujours aussi amical et doux, et parla avec une affection qu'il aurait pu donner à sa petite-fille, s'il en avait eu une.

« Et pas de fausse modestie. Vous êtes une personne fantastique. Les gens vous aiment. Ceux qui en valent la peine, en tout cas. Croyez en vous-même. »

Les ambulanciers arrivèrent avec brancard, bouteille d'oxygène, sacs de secours, et tout le tintouin. Ils écartèrent tout le monde, avec calme mais fermeté. Ils sommaient les gens de le laisser respirer, et de les laisser, eux, faire leur travail. Tout naturellement, Jamie fut elle aussi écartée, par des mains vigoureuses mais compatissantes. Raymond aurait voulu dire quelque chose de plus. Il voulait qu'elle lui glisse son numéro. Une folie de jeune homme. Et puis, il aurait pu l'avoir sans le lui demander, mais il l'adorait, et il voulait faire les choses bien avec elle. A la place, il eut un souffle au cœur, et les types s'empressèrent de lui enfiler un masque respiratoire sur le visage. Il vit un des hommes se pencher sur lui, un grand noir aux épaules larges.

« Monsieur, est-ce que vous m'entendez ? Monsieur ? »

Mais Raymond avait sombré et était maintenant inconscient. Il allait falloir le transporter rapidement aux urgences. Un autre ambulancier, un trentenaire blanc aux cheveux courts, regarda Jamie, pendant qu'un plus jeune, à la raie de côté, prenait la tension du vieil homme.

« Vous le connaissez ? Vous êtes de la famille ? »

Spoiler:

Bien heureuse d’entendre qu’il ne bougerait pas, Jamie continuait de zigzaguer son regard timide entre l’homme et la porte du magasin, attendant que les secours arrivent.  Justement, on pouvait clairement percevoir qu’ils étaient sur place, fins prêts à accueillir le vieil homme qui s’empressa d’attirer Jamie vers lui, la fixant droit dans les yeux. Une fois de plus, la couleur de son visage vira au pourpre alors que Raymond lui demandait de croire en elle et de ne pas en douter un instant. Les paroles étaient franches, pleines de convictions et  la belle serveuse ne put faire autrement que de bien les assimiler…allait-elle croire en elle et en ce qu’elle faisait grâce à un homme qui avait passé si proche de la mort ? Elle fronça les sourcils et n’ajouta rien. Il venait de changer quelque chose en elle, mais Jamie ne pouvait pas encore déterminer ce que c’était. Brancard et bouteille d’oxygène à la main, les deux ambulanciers entrèrent en grand dans le café, demandant à tous de bien vouloir les laisser faire leur boulot. Jamie fut elle aussi, semée de quitter le vieil homme, qu’elle ne pouvait s’empêcher de suivre du regard. Une empathie immense l’envahie alors qu’elle regardait pleine d’espoir Raymond, avec son masque sur la bouche. Puis il sembla sombrer et quelque chose se cassa en la rouquine qui s’affola, affichant d’énormes yeux tandis que le noir demandait au patient s’il l’entendait. « Vous le connaissez ? Vous êtes de la famille ? » Jamie n’entendait plus rien, mais revint dans un souffle. C’est mon oncle ! Répliqua-t-elle, ne le connaissant nullement, mais voulant absolument le suivre jusqu’à l’hôpital. Elle se foutait bien de mentir pour une telle cause. Il se nomme Ray…Elle se sentait idiote de ne pas savoir s’il s’agissait d’un surnom ou bien de son réel prénom… C’est un oncle éloigné du côté de mon père que je ne connais pas tellement… toutes excuses étaient bonnes à dire.

Spoiler:

L'ambulancier blanc trentenaire (appelons-le Johnny) écoutait Jamie tout en vérifiant rapidement, de la paume de ses mains, l'absence d'hémorragie sur le vieil homme. Le plus jeune (appelons-le Brian) lui glissa des chiffres correspondant à la tension du patient et à son rythme cardiaque. Il avait l'air plutôt amusé.

« Ce vieux a la pêche ! »

Regards accusateurs des deux anciens. Brian baissa la tête et continua les examens. Johnny reprit

« D'accord, madame. Vous savez s'il a des antécédents, des allergies, quoi que ce soit ? »

Rien ne put venir à la serveuse, sinon le fait qu'il ait laissé entendre un peu plus tôt que cette attaque n'était pas la première. Johnny fit la moue et adressa un regard au noir (appelons-le Hank), qui lui retourna un air soucieux et se mit immédiatement au travail avec Brian. On posa une minerve au cou de Ray, et on le prépara au déplacement pour le mettre sur le brancard. Tandis que le vieil homme était chargé, emmené dans l'ambulance et branché, Johnny resta avec Jamie et lui posa une main sur l'épaule.

« Hey, on va prendre soin de votre oncle. Il a l'air solide, mais son cœur n'est plus tout jeune. Il faudra le mettre au repos, et il aura sûrement des cachets. Je vais prendre votre numéro, pour que le Memorial Hospital puisse vous appeler et vous tenir informée. »

Il tendit à la rousse un stylo et un bloc-notes. La page était déjà couverte de chiffres, et elle écrit son numéro en bas de page. L'ambulancier le récupéra, lui adressa un dernier sourire confiant, puis fonça à l'ambulance, alluma sirènes et gyrophares, et le véhicule partit en trombe vers l'hôpital.

Un sourire réconfortant se posa sur le visage de la rouquine lorsque l’un des ambulanciers s’exclama que le vieux avait toujours la pêche. C’était une bonne nouvelle pour Jamie, qui avait tendance à voir toujours le bon côté de choses dans la vie. Enfin, rapidement son sourire devint une forme de grimace alors qu’on lui demandait s’il avait des antécédents quelconques, des médicaments ou quoi que ce soit qui pouvaient les aider à dresser son portrait médical…Elle se contenta d’hausser les épaules, puis fronça les sourcils en voyant le brancard s’éloigner avec son ‘’oncle’’. Elle lui fit un signe de bye bye de la main, un peu triste de devoir laisser aller ce nouveau client plus qu’intéressant, mais se réjouit de nouveau lorsque l’ambulancier qui avait tenté un geste de réconfort en lui touchant l’épaule, lui demanda d’inscrire son numéro de téléphone sur son bloc-notes, déjà bien rempli de chiffres en tout genre. D’un geste rapide, la rouquine inscrit Fox, Jamie ▬ (619) 955-0513, prenant bien soin de dessiner un auréole au-dessus du i de son prénom. Lorsque finalement les ambulanciers furent repartis avec le patient, Jamie tenta de se concentrer sur son boulot, mais en vint elle ne cessait de regarder son téléphone, attendant des nouvelles de Ray.

TOPIC TERMINÉ & VERROUILLÉ